Quelques notes sur la résistance ouvrière au nazisme

Quelques notes sur la résistance ouvrière au nazisme de 1933 à 1945 à l’occasion du 29 avril, Journée des Déportés.

On a tendance à voir dans l’Allemagne de 1933 à 1945 un pays entièrement nazifié, oubliant que le national-socialisme était une réponse de la bourgeoisie à la fois à la crise du capitalisme et à la combativité de la classe ouvrière. C’est d’abord contre le mouvement ouvrier allemand que s’est dirigée la violence terroriste de l’Etat nazi. Ainsi, de 1933 à 1939, 225.000 personnes sont condamnées pour motifs politiques à des peines de prison plus ou moins longues et un million d’Allemands et d’Allemandes sont envoyés en camp de concentration pour raisons politiques. De 1933 à 1945, 32.500 anti-fascistes allemands sont condamnées à mort et exécutées pour motifs politiques et on estime à 1.359 le nombre de personnes sont assassinées par des agents du régime nazi entre le 30 janvier 1933 et le printemps 1936.

Le texte suivant est loin d’être une étude exhaustive de la résistance au nazisme dans la classe ouvrière allemande mais ne cherche qu’à montrer quelques exemples de cette lutte.

Maintien d’organisations et d’activités anti-fascistes illégales dans la classe ouvrière de 1933 à 1939

Face à la terreur et au totalitarisme du régime nazi, une des principales tâches des organisations ouvrières étaient de maintenir leur existence dans la clandestinité, de diffuser une presse illégale dans le but de préparer un soulèvement contre le régime fasciste. Le travail et l’activité de ces groupes étaient loin d’être complètement marginaux. Ainsi, vers 1935-1936, la Gestapo estime qu’il existe 5 708 centres clandestins diffusant des tracts, affiches et brochures.  En 1936, elle saisit 1 643 200 tracts du Parti Social-Démocrate (SPD) et du Parti communiste (KPD), et encore 927 430 l’année suivante.

Terreur nazie : arrestation de communistes à Berlin après l'incendie du Reichstag

Dès l’arrivée au pouvoir de Hitler, des structures et des réseaux liés aux organisations de la classe ouvrière se mettent en place pour permettre la diffusion de la presse clandestine, son entrée en Allemagne et aider des camarades particulièrement exposés à fuir l’Allemagne nazie. Dans la Suisse Saxonne par exemple, le Vereinigte Kletterabteilung (VKA) plus connu sous le nom de Rote Bergsteiger (les alpinistes rouges) était depuis les années 1920 une des nombreuses associations sportives liées au mouvement ouvrier. Ses membres militaient souvent aussi au KPD (Parti Communiste) mais on trouvait aussi des membres de l’organisation trotskiste Linken Opposition/Internationale Kommunisten Deutschlands (LO/IKD). Leur connaissance de la montagne et de l’escalade permit aux membres de ce groupe, dès 1933, de traverser la frontière tchèque pour aller y chercher la presse communiste clandestine et la diffuser en Allemagne, et dans l’autre sens d’aider des militants pourchassés à se réfugier en Tchécoslovaquie. Une imprimerie clandestine sera également installée dans une grotte pour imprimer des journaux et tracts. Dans le courant des années 1930, de nombreux militants sont arrêtés, envoyés en prison ou en camps de concentration ou contraints à l’exil comme Wenzel Kozlecki qui deviendra secrétaire de Trotsky à Mexico.

Dans le sud-ouest, le groupe « Transportkolonne Otto », animé par le militant communiste Willi Bohn, faisait entrer dès le début de l’année 1933 la presse communiste illégale imprimée en Suisse en Allemagne. La presse et les informations étaient ainsi diffusés jusqu’à Stuttgart. A l’automne 1933, plusieurs militants de ce réseau sont arrêtés, mais il continue ses activités, informant par exemple sur le massacre de Guernica, jusqu’à la libération.

En Basse-Saxe, on peut citer le Sozialistischen Front, composé principalement de militants de l’aile gauche du SPD, de la SAJ (Sozialistische Arbeiter Jugend) et des Reichsbanners dans l’agglomération de Hanovre. Critiquant le manque de combativité de la direction du SPD face au nazisme, le Sozialitischen Front a rassemblé jusqu’à un millier de militants. Préparé à la clandestinité depuis 1932, le groupe diffusera notamment 40 numéros du bulletin « Sozialistischen Blätter » d’avril 1933 à août 1936 essentiellement dans les quartiers ouvriers de Hanovre comme Linden et Ricklingen, mais aussi dans des petites villes de Basse-Saxe comme Hildesheim, Otterndorf, Nienburg/Weser, et Bad Oeynhausen. En 1936, la Gestapo parvient à démanteler le groupe arrêtant plus de 300 militants.

A Hanovre aussi, le Komitee für Proletarische Einheit, regroupant des opposants à la ligne officielle du KPD et du SPD ainsi que des militants du KPO et du SAP s’organise dans la clandestinité et publie le premier bilan théorique en Allemagne de la défaite sans combat pendant l’été 1933 „Was soll man tun ?“. Jusqu’à son démantèlement par la Gestapo en 1935-1936, le groupe publie le journal Klassenkampf et plusieurs bulletins d’entreprise dans la région d’Hanovre.

A Heilbronn, le Kaiser/Riegraf-Gruppe rassemble des militants de différentes tendances du mouvement ouvrier. Constitué autour de Sophie (appelée Sascha) Kaiser, de son mari Karl, tous deux militants du KPO, et de Ernst Riegraf et de son fils Hellmut, militants du SPD, on y trouve aussi le militant anarcho-syndicaliste Eugen Freimüller ainsi que des membres du KPD. En lien avec la cellule clandestine du SAP à Mannheim, le groupe diffuse des tracts, le journal Das Banner des revolutionären Marxismus et des papillons qui sont collés. En mars 1936 le groupe a participé à une action de collage de papillons avec le slogan « Hitler signifie la guerre » qui a touché une région allant de Lörrach à Aix-la-Chapelle. En 1938, dans le cadre du démantèlement par la Gestapo des structures du SAP dans le sud-ouest de l’Allemagne, Sophie Kaiser, Karl Kaiser, Hellmut Riegraf, Wilhelm Jaisle, Hermann Gerstlauer, Paul Engel et Eugen Freimüller sont arrêtés et condamnés à des peines de prison.

Maintien d’organisations et d’activités anti-fascistes illégales dans la classe ouvrière après le début de la guerre (1939-1945)

Si, dans le courant des années 1930 et avec le renforcement de la répression, bien des groupes et réseaux sont démantelés par la Gestapo, le début de la guerre en 1939 ne mettra pas fin à ces activités clandestines en Allemagne. En effet, pour la seule année 1941, on compte 11.405 arrestations de militants antifascistes en Allemagne et 500.000 en 1944, ce dernier chiffre comportant aussi des travailleurs forcés étrangers.

Pour le KPD, le Parti Communiste, on peut citer, parmi d’autres, quelques réseaux clandestins, agissant dans différentes régions d’Allemagne. A Hambourg, c’est le réseau connu sous le nom « Groupe Bästlein-Jacob-Abshagen ». Ce groupe, créé en 1940 par les militants communistes Bernhard Bästlein, Franz Jacob, Robert Abshagen et Gustav Bruhn, qui viennent d’être libérés du camp de concentration de Sachsenhausen, maintiendra une activité jusqu’à la fin de la guerre en 1945, et regroupera jusqu’à 300 militants présents dans plus d’une trentaine de grandes entreprises de Hambourg. Le but était de mobiliser la classe ouvrière pour renverser le régime fasciste, d’où l’importance pour ce groupe communiste de s’implanter dans les grandes usines de la ville. Le groupe organisait aussi des sabotages de la production de guerre et une aide aux travailleurs forcés étrangers et aux prisonniers de guerre soviétiques. En 1942, une centaine de militants du groupe sont arrêtés par la Gestapo. Les bombardements sur Hambourg de juillet et août 1943 permettront à une cinquantaine de militants de s’évader et de reprendre leurs activités. La plupart sont à nouveaux arrêtés quelques mois plus tard et lors du « procès des communistes de Hambourg » de nombreux militants sont condamnés à mort. Entre 1942 et 1945, 70 militants de ce groupe sont exécutés ou assassinés par les nazis. Malgré tout, le groupe maintient ses activités jusqu’à la libération.

Le « groupe de Robert Uhrig » à Berlin, animé par Robert Uhrig, ouvrier communiste, à partir de 1938, constituera un réseau dans plus d’une vingtaine d’entreprises à Berlin. Le groupe diffuse le bulletin « Informationsdienst » qui appelle au sabotage de la production de guerre et donne des informations sur la situation militaire et économique réelle de l’Allemagne. En février 1942, Robert Uhrig et 200 autres militants du groupe sont arrêtés par la Gestapo et déportés au camp de concentration de Sachsenhausen. Robert Uhrig est condamné à mort le 7 juin 1944 et décapité le 21 août 1944 au pénitencier de Brandenbourg.

Hors des groupes liés au KPD, on peut aussi citer d’autres groupes qui ont aussi pu se maintenir après le début de la guerre.

Europäische Union (Union Européenne) est un groupe constitué en 1939 à Berlin par des militants de Neu Beginnen, groupe socialiste de gauche. Luttant pour la reconquête de la liberté par le renversement du régime nazi, ce groupe milite pour une « Europe Unie, Libre et Socialiste », considérant qu’avec une Europe sous domination fasciste et les nombreux travailleurs forcés de toute l’Europe la perspective est celle d’une révolution à l’échelle du continent. Aussi ce groupe cherchera et maintiendra des contacts étroits avec les organisations antifascistes des travailleurs forcés d’Europe amenés en Allemagne, et regroupera, en plus d’antifascistes allemands, des travailleurs forcés français, tchèques et soviétiques. En plus de la diffusion de tracts et d’informations censurées par les nazis, une activité importante du groupe sera de cacher et d’aider des personnes persécutées par le régime nazi, qu’il s’agisse d’opposants politiques, de travailleurs forcés étrangers ou de juifs. Cinq militants de ce groupe, Groscurth, Robert Havemann, Paul Rentsch et Herbert Richte, sont ainsi reconnus « Justes parmi les Nations » au mémorial de Yad Vashem à Jérusalem. En effet, dès 1939, les militants de Europäische Union ont commencé à cacher des Juifs et à les sauver de la déportation vers les camps d’extermination. En septembre 1943, la Gestapo procède à de nombreuses arrestations de militants de Europäischen Union : 40 sont condamnés dont 14 à mort, et deux militants meurent sous la torture en détention. Parmi les dirigeants du groupe, Groscurth, Richter (Luckian) et Rentsch sont exécutés le 8 mai 1944 au pénitencier de Brandenbourg.

A Munich, se constitue en 1937 un groupe sous le nom « Antinazistische Deutsche Volksfront » (ADV) autour de deux ouvriers, Rupert Huber, ancien militant du parti catholique de gauche Christlich-Soziale Reichspartei, et Karl Zimmet, ancien militant du Parti Communiste. Commençant par des tracts dénonçant la préparation de la guerre et l’intervention allemande aux côtés de Franco en Espagne, le Antinazistische Deutsche Volksfront regroupe à la fois d’anciens militants communistes et des catholiques de gauche, essentiellement ouvriers dans l’industrie. A partir de 1941, l’activité du groupe s’intensifie. Entre 1941 et 1943, sont édités et diffusés douze tracts et deux numéros du journal « Der Wecker » (Le Réveil). Le groupe appelle à la fin immédiate de la guerre, à l’unité des antifascistes et des peuples d’Europe et à une révolution comme en novembre 1918 pour mettre fin à la guerre et à ses souffrances. A partir de l’été 1943, le groupe multiplie les contacts avec le Brüderlichen Zusammenarbeit der Kriegsgefangenen (BZK, Travail commun Fraternel des Prisonniers de Guerre) et collecte de la nourriture, des vêtements, des papiers et des informations pour les prisonniers de guerre soviétiques et les travailleurs forcés. Des armes et des munitions sont également fournis au BZK en vue de préparer un soulèvement. Fin 1943, la Gestapo démantèle le BZK et dès janvier 1944 la plupart des militants du ADV sont arrêtés. La plupart des dirigeants du groupe sont condamnés à mort en décembre 1944 et exécutés peu après. Seul Zimmet, qui réussira à se faire passer pour fou après son arrestation, restera en vie à la libération.

Quelques exemples d’actions de résistance au nazisme

La grève générale à Mössigen (janvier 1933)

Dès la nomination de Hitler chancelier du Reich le 30 janvier 1933, le Parti Communiste du Wurtemberg distribue un tract appelant à la grève de masse. A Mössigen, petite ville ouvrière dans le Jura Souabe, dès le 30 janvier au soir, plus de 200 militants ouvriers se réunissent à l’appel de Martin Maier, secrétaire de la cellule locale du Parti Communiste. Cette réunion décide de la constitution d’un Groupe d’Action Anti-Fasciste et appelle à un nouveau rendez-vous le lendemain à midi. La réunion se termine par une manifestation nocturne spontanée à travers les rues de la ville où sont scandés des slogans anti-nazis comme « Hitler dégage ! » et « Hitler signifie la guerre ».

Tracts d'appel à la grève générale contre Hitler

Le lendemain, 31 janvier, 100 anti-fascistes, essentiellement des chômeurs et des manoeuvres, se retrouvent et décident de mobiliser les usines de Mössigen pour la grève générale. Les antifascistes partent en manifestation sous une banderole « Sortez pour la grève de masse ». Le premier arrêt de la manifestation est à l’usine de tissage Pausa. La grève est votée et la majorité des travailleurs se joint à la manifestation qui se dirige ensuite vers l’usine textile Merz qui, avec 400 ouvriers, est la plus grande entreprise de la ville. Des habitants de Mössigen rejoignent la manifestation qui, aux portes de l’usine, est forte de 600 personnes. Les manifestants, toujours plus nombreux, entrent dans l’usine où la production est stoppée. Otto Merz, le patron de l’usine, cherche à faire intervenir la police et prévient le patron de l’entreprise Burkhardt, la troisième usine textile de la ville. Aussi, devant l’usine Burkhardt, la manifestation, forte maintenant de 800 personnes, se trouve devant des portes fermées. Des manifestants escaladent les grilles et cherchent à ouvrir les portes, des drapeaux rouges sont hissés sur les murs de l’usine, et après quelques querelles avec le personnel de sécurité, les manifestants décident, plutôt que d’aller à l’affrontement, de se replier vers la hall sportive. C’est sur le chemin que, vers 16 heures, la manifestation fait face à une quarantaine de policiers armés. Les grévistes apprennent aussi que la grève générale n’a pas commencé dans les autres villes de la région, et beaucoup fuient à travers les champs face à la police.

Le soir même, les premiers grévistes sont arrêtés. En tout 98 grévistes sont arrêtés et enfermés dans différentes prisons du Wurtemberg. 77 hommes et trois femmes sont condamnés en 1933, par la justice qui n’est pas encore nazifiée, à des peines de trois mois à deux ans et demi de prison ferme. Le militant communiste Fritz Wandel, qui ne sera arrêté que début mars, est condamné à 4 ans 1/2 de prison. Il sera ensuite interné jusqu’en 1943 dans le camp de concentration de Dachau puis mobilisé au sein du bataillon disciplinaire 999 jusqu’à la fin de la guerre.

Le sabotage de l’inauguration de l’autoroute Francfort – Darmstadt (mai 1935)

Le 19 mai 1935 doit être inaugurée en grandes pompes, avec la présence du Führer lui-même, la première autoroute du Reich reliant Francfort (Main) à Darmstadt. Dans la nuit précédent la cérémonie, l’organisation clandestine de l’ « Internationaler Sozialistischer Kampfbund » (ISK) réussit à peindre des slogans comme « Hitler = guerre » ou « à bas Hitler » sur l’autoroute et sur tous les ponts qui la traversent ainsi qu’à mettre hors d’état des hauts-parleurs installés pour la cérémonie. Les nazis ont tenté de masquer les slogans antifascistes par des bannières à croix gammées sur les ponts et en mettant du sable sur l’autoroute. Mais une pluie a dispersé le sable si bien que les slogans étaient à nouveau lisibles. Le film de propagande tournée à l’occasion de l’inauguration de l’autoroute a finalement dû être coupé et raccourci pour empêcher que ces slogans puissent être vus.

Les « Meuten » à Leipzig : Une jeunesse prolétaire anti-nazie (1937-1939)

A Leipzig, les autorités du régime désignent sous le terme de « Meuten » (meutes), des groupes de jeunes des quartiers ouvriers qui refusent l’embrigadement dans la Hitler Jugend (HJ) ou dans le Bund Deutscher Mädel (BDM, organisation nazie pour les filles). On estime qu’entre 1937 et 1939, 1.500 jeunes de Leipzig, dont entre 25% et 33% de filles, étaient membres d’une « meute ». Ces jeunes conservaient les traditions des organisations de jeunesse du mouvement ouvrier, mais plus qu’une organisation formelle, étaient regroupés par quartier, comme les „Hundestart“ (du nom de l’ancien cimetière) dans le quartier de Kleinzschocher, le groupe „Lille“ dans le quartier de Reudnitz (du nom du „Lilienplatz“) qui aura jusqu’à une centaine de membre ou les „Reeperbahn“ dans le quartier de Lindenau. Ces bandes de jeunes prolétaires, en plus de refuser l’embrigadement nazi, attaquent des militants nazis, des rassemblements et parfois des locaux de la Jeunesse Hitlérienne. Des tracts sont aussi diffusés avec des slogans comme « Jeunesse Hitlérienne dégage ! ». Les „Reeperbahn“ attaquent le Foyer Hermann Göring des Jeunesses Hitlériennes à coups de pierres et en brisent toutes les vitres.

La bande du quartier de Connewitz détruit régulièrement les panneaux d’information de la Jeunesse Hitlérienne et du NSDAP dans la rue Adolf Hitler. La situation est telle que la direction locale de la Jeunesse Hitlérienne se plaint à Berlin que les jeunes hitlériens n’osent plus se promener en uniforme dans certains quartiers ouvriers de Leipzig. A partir de 1938, la répression s’intensifie contre les membres des « meutes ». Après des premiers procès pour « haute trahison » de plusieurs jeunes fin octobre 1938 et des peines de plusieurs années de pénitencier, le tribunal pour enfants de Leipzig met en place une sorte de camp de concentration pour jeunes afin de « rééduquer » les membres des « meutes ». A partir de l’été 1939, le mouvement des « Meuten » est écrasé à Leipzig.

La révolte des femmes de la Rosenstrasse à Berlin contre la terreur antisémite (février / mars 1943)

Le 27 février 1943, les nazis lancent une grande action d’arrestations et de déportation de tous les Juifs allemands encore présents sur le territoire du Reich, y compris ceux qui, par les lois de Nuremberg, sont encore protégés de la déportation comme les Mischehen (les couples mixtes, Juifs mariés à des « aryennes » avant la promulgation des lois de Nuremberg), privés de la majorité de leurs biens et travaillant dans des usines. Au début, l’administration poussait ces femmes allemandes de bonne race à divorcer, ce qui permettait alors l’arrestation du juif délaissé, toutefois les liens affectifs l’emporteront sur cette propagande, et rares seront les Allemandes qui divorceront. En début d’année 1943, ces exceptions sont abrogées suite à la défaite de Stalingrad.

Mémorial de la Rosenstrasse à Berlin

À partir du 27 février 1943, la SS arrête les Juifs de Berlin. Les Mischehen sont arrêtés sur leurs lieux de travail, tandis que la Gestapo arrêtent leurs enfants, considérés comme « Mischlingen » (métis). 7.000 Juifs berlinois sont arrêtés dans la journée, certains envoyés directement vers les camps d’extermination alors que d’autres sont enfermés dans cinq prisons berlinoises, dont deux temporaires. L’une d’entre-elles se situe dans un ancien bureau d’aide sociale de la communauté juive, au 2-4 Rosenstrasse.

Les épouses allemandes, constatant l’absence de leurs maris, commencent à se rendre à Rosenstrasse et au fil des heures, de plus en plus d’Allemandes rejoignent dans la rue celles déjà présentes. À la fin de la journée, on en compte plus de 200, dont certaines n’hésiteront pas à passer la nuit dehors. Le lendemain, le nombre de contestataires a doublé, et leurs revendications se font de plus en plus fortes. Ni la présence du bureau de la Gestapo s’occupant des affaires juives tout près du lieu du rassemblement, ni l’encadrement du mouvement par les SS ne parviennent à ébranler le moral et la volonté des femmes. L’énervement va croissant et quelques altercations auront même lieu entre manifestantes et forces de l’ordre. Outre la surveillance de la manifestation, les autorités, exaspérées et toujours aussi décidées à faire appliquer l’ordre de rafle, commencent à faire pression auprès des Allemandes. Dans un premier temps, les SS menacent d’utiliser leurs armes à feu, s’ensuit alors la dispersion des manifestantes sous les porches avoisinants ou sous un viaduc à proximité. La frayeur passée, elles reviennent à nouveau, et relancent leur exigence de libérer leurs conjoints. Le 5 mars, la Gestapo intervient et fait déplacer quelques dizaines de femmes. Voyant le peu d’effet que provoque cette action, une jeep SS fait irruption au milieu de la foule mécontente et quelques soldats font feu à l’aide de mitraillettes dans le but d’effrayer les femmes. Ces dernières courent en tous sens, mais à nouveau reviennent devant la prison.
Le 6 mars, les arrestations sont interrompues, les détenus mariés à des femmes allemandes et les enfants sont libérés. L’autorité nazie ira même jusqu’à rechercher 25 juifs mariés qui avaient déjà été transférés à Auschwitz. Afin de justifier cette annulation de la rafle, l’administration nazie argumentera sur le fait que cette rafle était une erreur de la part de la Gestapo. En fait, peu après la défaite de Stalingrad, le régime nazi craint le développement d’agitations en Allemagne. Pour les autorités, il apparaissait donc nécessaire d’écourter les protestations de la Rosenstrasse au plus vite. Voyant que les intimidations échouaient, l’autorité préféra satisfaire les revendications pour que les manifestantes cessent leurs protestations. Les Juifs ainsi libérés grâce à la courageuse action de leurs femmes resteront à Berlin jusqu’à la libération.

Tentative d’insurrection en Haute-Bavière (avril 1945)

Le groupe « Freiheitsaktion Bayern » était un regroupement autour du capitaine Rupprecht Gerngross, basé dans la région de Munich, dont le but était de préparer une insurrection afin de mettre fin à la prolongation d’une guerre déjà perdue et d’épargner des vies humaines alors que les éléments les plus fanatiques du régime nazi et de la SS voulaient la prolonger. Le 28 avril à 5 heures du matin, deux émetteurs radio sont occupés, celui de Erling et celui de Munich Freimann. Le mot d’ordre est « chasse aux faisans », en référence aux uniformes des plus hauts gradés de la SS. Un appel est lancé au soulèvement contre le régime national-socialiste, pour la paix immédiate et la fin du militarisme. Quelques heures plus tard, Paul Gieser, Gauleiter nazi, envoie des unités SS pour écraser le soulèvement. Si certains insurgés ont pu s’enfuir, on compte qu’une quarantaine d’entre eux ont été assassinés par la SS, parfois quelques heures à peine avant la libération de Munich.

A Dachau, un groupe autour du militant communiste Georg Scherer, libéré du camp de la ville en 1941, et de Walter Neff, lui aussi ancien détenu du camp de concentration, s’était préparé à l’insurrection armée. Le but de cette insurrection devait être de briser les structures nazies dans la ville, de mettre immédiatement fin aux combats militaires et d’empêcher la liquidation des détenus du camp de concentration par la SS. Le groupe était composé d’habitants de la ville, dont des membres du Volkssturm, en lien avec des déportés du camp. Dans la matinée du 28 avril, suite à l’appel radiodiffusé, vingt-cinq personnes armées prennent la mairie de Dachau et désarment les membres de la Gestapo présents. Un responsable du NSDAP qui refuse de se rendre est tué. Des unités de la SS sont rapidement envoyées, avec des armes lourdes, à Dachau où elles répriment le soulèvement en fin de matinée. Les insurgés se replient. Deux sont tués dans le combat et quatre, arrêtés, sont immédiatement exécutés par la SS et leurs cadavres laissés jusqu’à 17 heures devant la mairie pour terroriser la population.

A Penzberg aussi, on note un soulèvement contre le régime. Dans la matinée du 28 avril, communistes et sociaux-démocrates prennent la mairie, le maire social-démocrate Hans Rummer, limogé en 1933 par les nazis, reprend ses fonctions. Le maire nazi est limogé, les prisonniers et travailleurs forcés libérés. Vers 18 heures, l’armée reprend le contrôle de la ville et elle est suivie par un commando des Werwolf Oberbayern, groupe de nazis fanatiques dirigé par le SA Hans Zöberlein, qui viennent « rétablir l’ordre ». Dans la nuit, les Werwolf massacrent 16 habitants, dont une femme enceinte, qui avaient participé au soulèvement.

Victimes de la répression à Penzberg

A Altötting, les habitants arrêtent dans la matinée du 28 avril six cadres du parti nazi jugés particulièrement dangereux, là aussi, une unité de la SS intervient et exécute à 15 heures 30 cinq habitants de la ville. Dans toute la Haute-Bavière, SS et nazis fanatiques chercheront jusqu’à la libération des sympathisants de la tentative d’insurrection et c’est ainsi par exemple qu’à Burghausen trois ouvriers de l’usine Wacker sont fusillés par la SS.

5 réponses à “Quelques notes sur la résistance ouvrière au nazisme

  1. A lire sur le sujet, l’excellent livre de T. Derbent : « La résistance communiste allemande 1933-1945 » au éditions Aden, très complet..!
    http://www.aden.be/index.php?aden=la-resistance-communiste-allemande

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  2. Pingback: Mai / juin 1945 en Allemagne : La « Freie Republik Schwarzenberg » | Solidarité Ouvrière

  3. Sur la jeunesse antinazie (swing-jugend et Edelweißpiraten), peu de choses en français, mais cet article donne une piste :

    Antifa

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