L’Humanité, 12 septembre 2016 :
Vingt-cinq Maliens employés par un sous-traitant du BTP ont cessé le travail mercredi. Ils exigent des papiers et leurs fiches de paie. Un grave accident a déclenché leur lutte.
Avenue de Breteuil, dans le chic 7e arrondissement parisien, à quelques kilomètres à pied de la tour Eiffel et de l’esplanade des Invalides. Au no 47, des drapeaux CGT sont suspendus sur le grillage d’un bâtiment. « Traite des êtres humains, travail dissimulé, exploitation, ça suffit ! » peut-on lire sur une banderole. En grève, vingt-cinq travailleurs maliens occupent nuit et jour, depuis mercredi matin, la cour d’entrée du chantier de l’entreprise de bâtiment sous-traitante MT Bat-Immeubles. Avec le soutien de la CGT, ils réclament un contrat de travail, des fiches de paie rétroactives et une régularisation de leur situation.
Un employé s’est grièvement cassé le bras sur son lieu de travail en tombant d’un échafaudage, mardi. La fracture est béante. Ses collègues demandent alors au patron d’appeler au plus vite une ambulance, ce qu’il refuse catégoriquement. « Il voulait l’emmener avec son propre véhicule chez le médecin, témoigne Dabo Sadio, l’un des courageux grévistes. Nous avons refusé et nous avons appelé une ambulance par nos propres moyens. Ce n’est pas normal de ne pas appeler une ambulance ! » Le lendemain matin, sans donner la moindre explication, le patron leur demande de ne plus mettre un pied sur le site.
De fausses fiches de paie et du liquide
Depuis ce coup de massue, la lutte a commencé. Tous sans-papiers, les grévistes demandent la reconnaissance de l’accident de travail de leur collègue et dénoncent le travail dissimulé dont ils sont victimes. À l’exception d’une poignée d’entre eux, qui « sont plus ou moins déclarés », selon Marilyne Poulain, de l’union départementale CGT de Paris, ils reçoivent, en guise de bulletin de salaire, de fausses fiches de paie ou des enveloppes blanches qui contiennent du liquide. La somme frauduleuse frôle les 1 200 euros. Six jours sur sept pour le smic horaire, ils s’activent sur le chantier dans des conditions précaires. « On doit attendre des semaines avant d’obtenir un masque ou des gants. Nous devons aussi acheter nous-mêmes les chaussures de sécurité », dénonce Diaby, le chef d’équipe du chantier, qui œuvre depuis deux mois pour la société.
Derrière la grille, à l’abri des regards, les travailleurs se serrent les coudes sur le piquet de grève, où sont installés des lits de fortune. « Nous sommes plus forts ensemble, ce n’est pas facile mais on est déterminé à aller au bout ! » s’exclame Diaby, qui est arrivé il y a sept ans en France. Pour autant, la lutte n’est pas de tout repos, car le climat est tendu avec l’équipe de sécurité du chantier. Filtrage et inscription systématique de l’identité des personnes à l’entrée, et pas moins de trois agents qui guettent leurs moindres faits et gestes. « Ils nous accompagnent même lorsque nous allons aux toilettes la journée et la nuit, c’est insupportable », rapporte Dabo Sadio.
Maintenant, la première bataille se déroule sur le plan juridique. Le patron de MT Bat-Immeubles doit reconnaître un lien de subordination avec ses employés. La tâche est épineuse. Sur ce chantier, MT Bat-Immeubles travaille en sous-traitance pour la société donneuse d’ordres Capron, spécialisée dans l’entretien et la rénovation d’immeubles, tandis que le maître d’ouvrage est Covéa, une société française d’assurance mutuelle qui réunit la GMF, Maaf et MMA. Sur le plan pénal, le donneur d’ordres est censé vérifier que son contractant n’effectue pas de travail dissimulé.
Les militants cégétistes vont s’appuyer sur le rapport de l’inspectrice du travail, qui s’est rendue sur le chantier suite à l’accident de travail mardi dernier. En parallèle, des dossiers de régularisation ont été déposés à la préfecture de Paris, au ministère du Travail et de l’Intérieur. Plus largement, la CGT a réitéré des demandes de discussions auprès des deux ministères au sujet des travailleurs contraints au travail dissimulé. Car, à l’heure actuelle, la circulaire Valls de 2012 bloque la régularisation administrative des employés au noir.
Mais, déjà, le maître d’ouvrage Covéa met des bâtons dans les roues. Jeudi, l’entreprise a assigné en justice les vingt-cinq employés pour obtenir l’évacuation du site. Les travailleurs risquent d’être expulsés de leur piquet de grève. Cette décision interpelle la cégétiste Marilyne Poulain, pour qui « la société aurait dû être dans une logique de médiation avec les entreprises afin de trouver une issue favorable au conflit social ». Contacté par l’Humanité, le responsable de l’entreprise MT Bat-Immeubles a refusé de communiquer sur la grève.