Au Cambodge, « on est en train de réprimer la liberté d’expression »

France Infos, 4 janvier 2014 :

La situation au Cambodge s’est considérablement dégradée ces dernières 48 heures. Les ouvriers du textile ont entamé des grèves et sont descendus dans la rue. Vendredi, l’armée a tiré sur une foule de manifestants, faisant au moins 7 morts, selon les ONG internationales. A Phnom Penh, Chhiv Kek Punk, médecin et présidente de la Ligue cambodgienne des droits de l’homme, a répondu aux questions de France Info.

La situation se dégrade, au Cambodge. Et cela ne date pas d’hier. Depuis les dernières élections législatives l’été dernier, l’opposition manifestait et dénonçait un scrutin entâché de fraudes et ne reconnaissait pas les résultats. Cela ne semblait pas déranger le pouvoir en place.

Mais depuis quelques jours, les ouvriers du textile ont entamé des grèves et eux aussi descendent dans la rue. En cause, leurs faibles conditions salariales. Cela panique le pouvoir en place depuis 28 ans. Vendredi, l’armée a tiré sur la foule. Il y a eu plusieurs morts, sept au moins d’après les ONG internationales. L’ambiance reste explosive, comme l’explique Chiv Kek Pung, présidente de la Ligue cambodgienne des droits de l’homme, et une des seules à avoir accepté de témoigner.

Quelle est l’atmosphère dans les rues de Phnom Penh ?

Je suis très très inquiète. Les rumeurs circulent qu’on veut arrêter les leaders, les chefs les syndicalistes… J’ai bien peur que la violence continue. Ils ont déployé les forces armées dans la ville. Les autorités ont mis des barricades partout. Pourquoi les militaires viennent défendre les intérêts privés d’une compagnie ? Cela ne devrait pas être le cas. Les militaires servent à défendre le pays contre des ennemis éventuels.

Qu’est-ce qui a poussé les ouvriers du textile à manifester ?

Il y a à peu près plus de 700.000 ouvriers du textile, dont 80% sont des femmes, la plupart très jeunes. Ces ouvriers gagnent très peu, 81 dollars par mois, et ils demandent 160 dollars par mois. Plusieurs usines se sont donc mises en grève. Malheureusement le clash est arrivé. Il y a une quarantaine d’usines où les ouvriers ont été manifesté, très tranquillement, mais il y a eu répression de la part des autorités. Ils sont venus leur taper dessus, il y a eu des coups de feu, il y aurait eu 7 morts.

On ne sait toujours pas combien il y a eu de blessés, mais au moins 40, et la plupart des blessés le sont par balles. Demain, il était prévu qu’ils fassent une grande manifestation dans les rues de Pnom Penh, mais le gouvernement a dit non, on ne vous autorise plus à faire aucune manifestation, pas de rassemblement, pas de marche, c’est fini, c’est interdit (l’opposition a annulé un grand rassemblement, prévu dimanche).

L’interdiction des manifestations n’est-elle pas contraire à la loi cambodgienne qui autorise le droit de grève ?

Elle est contraire à la loi cambodgienne, à la loi internationale, et elle est même contraire à notre constitution. Mais là, on est en train de réprimer la liberté d’expression, la liberté de rassemblement, sous prétexte qu’on rétablit l’ordre.

Vous vous sentez en danger vous, en tant que défenseur des droits de l’homme ?

Oui, c’est très dangereux pour nous de dénoncer tout cela. C’est très dangereux au Cambodge de dire ce que vous pensez. a la Ligue cambodgienne des droits de l’homme, nous avons des enquêteurs, une dizaine d’enquêteurs. Ils reçoivent des menaces de mort (contactés, ils ont logiquement refusé de répondre aux questions de France Info). Quand je parle comme ça, ils vont dire que j’incite les gens à la révolte, mais non, je dis la verité !

Vous sentez une mobilisation qui commence à se cristalliser parmi l’opinion ?

Tout le monde réclame quelque chose : c’est ça dont le parti au pouvoir a peur. Les ouvriers réclament plus d’argent, les fonctionnaires, les enseignants, la police l’armée… Tous les fonctionnaires ont un salaire très bas et avec l’inflation c’est dur de survivre. Les fermiers aussi, car ils n’arrivent pas à vendre leur culture.

Beaucoup ont perdu leur terrain, au moins 50.000 personnes ont perdu leur terrain et leur maison pour cause d’expropriation Sur 15 millions et demi c’est beaucoup ! 80% des Cambodgiens sont des agriculteurs : leur enlever leur terre, c’est les condamner à une mort certaine. Les gens sont très malheureux. Tous ces gens protestent donc, et c’est ça qui inquiète le pouvoir. Le pouvoir a peur que tous ces gens-là viennent à Pnom Penh rejoindre l’opposition.

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