LOI EL KHOMRI : DE LA PROTECTION À LA SÉLECTION MÉDICALE DES TRAVAILLEUR/SES, UNE SEULE LOGIQUE : LE PROFIT !

Article publié dans notre bulletin Communisme ouvrier n°65 de mai 2016

La médecine du travail a subi ces dernières années plusieurs réformes tendant à chaque fois à limiter et orienter son action. Elles ont pris acte du manque de personnel médical dans les services de santé en allongeant la périodicité des visites médicales obligatoires. Elles ont modifié profondément le rôle du médecin du travail en transférant une partie de ses missions vers d’autres professionnels de santé. Le résultat : faute de bénéficier d’une visite médicale programmée, les travailleur/ses font valoir leur droit individuel à l’examen médical. Les services de santé au travail sont engorgées, le personnel peine à remplir ses missions.

Surtout, par les procédures de contestation des avis d’inaptitude et de saisine du Conseil de l’ordre des médecins, les médecins du travail se retrouvent attaqués, parfois violemment, chaque fois que leurs décisions entrent en contradiction avec le modèle capitaliste de l’exploitation et de la recherche de profits.

La loi El Khomri accentue cette déroute. A travers une sélection médicale des salariés selon leur employabilité et un maintien dans l’emploi limité par les choix économiques de l’entreprise, la médecine du travail sera alors sommée de soumettre ses décisions à une logique de rentabilité.

Avec cette réforme, ce sont les travailleurs et travailleuses les plus précaires qui seront durement touché-es.

La loi prévoit en effet la suppression de la visite médicale à l’embauche – aujourd’hui obligatoire pour tous les salarié-es à l’exception des saisonniers en agriculture. Elle sera remplacée par une simple visite d’information et de prévention (art. L.4624-1). A travers cette mesure gouvernement entend ainsi lever la protection du salarié contre les risques d’atteinte grave à sa santé, mais aussi sa protection contre toute discrimination lié à son état de santé.

Actuellement, le médecin du travail est le seul acteur en capacité de faire le lien entre la santé et le travail. Il intervient dans les procédures de reconnaissance des maladies professionnelles en retraçant l’exposition des salariés sur l’ensemble de leur carrière. Il est souvent sollicité dans les situations de harcèlement et de violences au travail conduisant à la dépression, car il peut attester du lien entre l’évolution de l’état de santé et les conditions de travail réelles.

C’est d’ailleurs sur ce terrain que les médecins du travail sont attaqués devant le Conseil de l’ordre. Et ce dernier n’hésite pas à les sanctionner pour avoir produit une attestation aux salariés leur permettant d’attaquer leur employeur devant les tribunaux. Pour exemple, parce qu’elle a déclaré inaptes deux salariées victimes de harcèlement moral et sexuel, une médecin du travail a été sanctionnée de 6 mois d’interdiction d’exercer et s’est vue imposer une expertise psychiatrique… car son interprétation du harcèlement leur semblait délirante ! Le Conseil de l’ordre défend pleinement les intérêts des entreprises, le patriarcat également…

Cette réforme tend finalement à écarter le médecin du travail trop investi dans sa mission, et enlever aux travailleur/ses les moyens de se défendre. Le gouvernement veut en fait lui donner un tout autre rôle : sélectionneur de main d’œuvre.

Pour décider de l’aptitude et l’inaptitude d’un salarié, le médecin devra ainsi juger de « sa capacité à exercer des tâches existantes dans l’entreprise » (art. L.1226-2 et L.1226-10) et devra « s’assurer de la compatibilité entre l’état de santé du salarié avec le poste auquel il est affecté » (art. L.4624-2). Le rôle du médecin ne sera plus d’agir sur le travail, tant sur l’aménagement d’un poste que sur l’organisation, pour l’adapter aux travailleur/ses en fonction de leur état de santé. Car, ce pouvoir que détient le médecin du travail, à savoir d’obliger l’entreprise à intégrer les impératifs de santé dans son organisation, entrave la liberté d’entreprendre du patronat et limite sa capacité de profits. Son rôle sera donc de préserver le mode de production capitaliste et de trier la main d’œuvre en fonction de ses exigences…

Dans le même sens, le médecin du travail devra évaluer si l’état de santé d’un salarié présente « un risque manifeste d’atteinte à la sécurité des tiers » (art. L.4622-3). Dans le secteur des transports, cette logique est déjà à l’œuvre pour les conducteurs. Ils sont examinés régulièrement sur leurs éventuelles addictions (alcool, drogue), sur le développement de certaines maladies (diabète) ou des risques d’accident cardiaque. Les médecins interrogent non plus les impacts du travail sur la santé, mais les conséquences de l’hygiène de vie des salariés – consommation d’alcool ou de cannabis, régime alimentaire, activité sportive – sur le travail. Ces travailleur/ses, si l’examen ne conclut pas à une aptitude, perdent leur poste.

Il s’agit clairement d’une sélection de la main d’œuvre au profit d’une organisation du travail : à défaut de doubler les effectifs sur les postes à risques, on maintient sur ces postes les salarié-es aptes à travailler seul-es. Ces travailleur/ses, en raison de leur âge et de leur état de santé, sont alors plus exposés au reclassement, au déclassement et au licenciement pour inaptitude.

Sur ce point encore, la loi El Khomri restreint l’obligation des employeurs. Actuellement, l’employeur doit proposer aux salarié-es déclaré-es inaptes à leur poste, tous les emplois équivalents, vacants ou qu’il est possible de créer, répondant aux indications du médecin du travail. Le gouvernement veut limiter cette obligation en modifiant la terminologie. Il ne s’agit plus de « proposer un autre emploi au salarié », « approprié à ses capacités » mais de « proposer un autre poste de travail ». Cette modification semble être un détail mais elle pèse énormément ! Lorsqu’un salarié est déclaré inapte sur un poste de travail de manutentionnaire ou d’ouvrier en production pour une pathologie empêchant l’effort physique, l’employeur ne sera plus dans l’obligation de lui proposer un autre emploi, à savoir un poste administratif accompagné d’une formation, mais constatera que les postes équivalents – par leur nature et leur qualification – exigent tous un effort physique.

La procédure est doublement allégée : le périmètre de recherche de reclassement est réduit et pour satisfaire à cette obligation, un seul poste doit être proposé. Les salarié-es fragilisées par leur état de santé seront donc plus facilement licencié-es. Notamment les travailleuses enceintes ou ayant accouché : la loi prévoit que les dispositions protectrices contre les risques professionnels ne feront plus obstacle aux procédures de licenciement pour inaptitude. Le gouvernement offre la possibilité aux employeurs de commettre les pires abus !

Et c’est justement pour faire obstacle aux nombreuses contestations qui risquent de naître, que la procédure de recours contre les décisions du médecin du travail ne sera plus engagée auprès de l’inspection du travail et du médecin inspecteur du travail – pourtant les plus à même de décider en fonction de la réalité du poste dans l’entreprise et garants du service public – mais auprès du conseil des prud’hommes et des médecins-experts agréés, dans le cadre d’une procédure privée liée à l’application du contrat de travail. Une procédure lourde que peu de travailleur/ses engageront, et qui fragilisera de fait le respect de leurs droits.

A travers cette loi, le gouvernement entend satisfaire le patronat sur les revendications qu’il porte depuis longtemps : l’entreprise capitaliste n’est pas un service social qui aurait à supporter le coût des différences et des inégalités, les travailleur/ses doivent être rentables… ou rejoindre la réserve de main d’œuvre sur le marché du chômage !
Chaque femme, chaque homme, quels que soient son âge, son état de santé et son handicap, doit avoir sa place dans notre société et le droit inaliénable de participer à une activité économique et sociale.

Temps que les travailleur/ses subiront cette exploitation destructrice, engendrant la maladie, la souffrance, l’exclusion et la mort ; temps que les moyens de production ne seront pas confiés aux travailleur/ses, nous serons dans les assemblées générales, dans la rue et en grève, pour défendre et conquérir nos droits !

Leona Lantana

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