Soudan du Sud: cinq ans d’indépendance, du sang, des larmes et la faim

AFP, 8 juillet 2016 :

Le Soudan du Sud marque samedi le 5e anniversaire de son indépendance. Mais de célébration, il n’y aura guère: l’accord de paix censé tourner la page d’une guerre civile dévastatrice ne tient qu’à un fil et la population n’a jamais eu aussi faim.

Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont mortes depuis décembre 2013 et le début de la guerre civile qui a ravagé la plus jeune nation du monde et son économie, conduisant le gouvernement à annuler pour la première fois les festivités de l’indépendance.

L’International Crisis Group (ICG) a enjoint les Etats garants de l’accord de paix d’agir « de toute urgence » pour le sauver et ainsi « empêcher le pays de retomber dans un conflit à grande échelle ».

Les combats ont provoqué une crise humanitaire d’envergure, forçant deux millions d’habitants à fuir leurs foyers et quelque cinq millions, plus d’un tiers de la population, à dépendre d’une aide alimentaire d’urgence.

« Les conditions de vie n’ont jamais été aussi mauvaises au Soudan du Sud », résume David Deng, un avocat spécialiste des droits de l’homme, énumérant une inflation galopante, des combats toujours en cours, la faim et le degré de défiance entre les parties au conflit.

« Si on ne redresse pas rapidement la situation, je crains que nous ne soyons confrontés à un conflit aussi dur que les 22 ans de guerre dont le pays est récemment sorti », a-t-il averti, en référence à la guerre d’indépendance avec le Soudan.

Les prix des biens et services ont explosé depuis l’indépendance en 2011, avec une inflation flirtant actuellement avec les 300% et une devise qui a perdu 90% de sa valeur cette année.

« Le fait que le gouvernement n’a même pas assez d’argent pour célébrer l’anniversaire (de l’indépendance, ndr) montre la magnitude des difficultés économiques », relève James Alic Garang, un économiste au sein du groupe de réflexion Ebony Center installé à Juba, la capitale sud-soudanaise.

‘Nous souffrons ici’

Au terme d’une guerre civile qui a duré de 1983 et 2005, l’actuel Soudan du Sud a acquis son indépendance de Khartoum le 9 juillet 2011, dans la foulée d’un référendum.

Très vite, en décembre 2013, il a plongé dans une nouvelle guerre civile.

Le conflit a éclaté au sein de l’armée nationale, minée par des dissensions politico-ethniques alimentées par la rivalité entre le président Salva Kiir et son vice-président Riek Machar.

En avril, Riek Machar est rentré à Juba dans le cadre d’un accord de paix signé en août 2015 et a formé avec Salva Kiir un gouvernement d’union nationale. Mais sur le terrain, les hostilités se poursuivent.

Babikr Yawa, 31 ans et mère de trois enfants a fui les combats le mois dernier dans le district de Kajo-Keji, près de la frontière avec l’Ouganda.

« Nous souffrons ici, il n’y a pas de nourriture, pas de vrai abri. Ce que nous voulons, c’est que le président Salva Kiir et Riek Machar mettent un terme à la guerre », a-t-elle déclaré à l’AFP.

En juin, dans la ville de Wau – devenue la deuxième plus grande du pays après que celles de Malakal, Bor et Bentiu eurent été partiellement détruites pendant la guerre – les combats ont forcé quelque 88.000 habitants à fuir leurs maisons, 20.000 d’entre eux cherchant refuge aux abords de la base des Nations unies.

‘Un espoir trahi’

L’accord de paix est tout simplement ignoré, dénonce ICG, et « les anciennes parties au conflit (…) se préparent de plus en plus à un conflit à grande échelle ».

Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a récemment rappelé « la fierté, l’état d’esprit et l’espoir » qui animaient le pays il y a cinq ans.

Mais à l’issue de sa dernière visite dans pays en février, M. Ban n’a pu que constater « un espoir trahi (…) par ceux qui ont placé le pouvoir et le profit au dessus (des intérêts) de leur peuple », dénonçant « les violations massives des droits de l’homme et une corruption monumentale ».

Les organisations humanitaires à pied d’œuvre dans le pays soulignent que l’économie en ruines menace les chances de voir l’accord de paix appliqué.

Un bilan de la guerre civile (Belga, 11 mars 2016) :

Au Soudan du Sud, les morts s’empilent et personne ne les compte

Les horreurs de la guerre civile au Soudan du Sud sont largement répertoriées mais une inconnue majeure subsiste: celle du nombre de personnes tuées depuis le début de ce conflit sanglant, en décembre 2013. Des civils ont été tués, brûlés, castrés, pendus, noyés, asphyxiés ou sont morts de faim. Leurs corps ont été abandonnés ou entassés dans des fosses communes. Un cas de cannibalisme forcé a même été recensé.

Quelques mois après le début de la guerre, l’ONU a avancé le nombre de 10.000 morts et s’est tenue à cette estimation, alors que les tueries s’accéléraient et s’étendaient à tout le pays, jusqu’en mars 2016, lorsqu’elle a fait état d’au moins 50.000 victimes.

Ce même bilan de 50.000 morts avait été avancé dès novembre 2014 par le centre de réflexion International Crisis Group (ICG), qui suit de très près ce conflit.

Pour Eric Reeves, professeur au Smith College (Etats-Unis) et spécialiste des deux Soudan, l’incapacité à comptabiliser les morts est une faute morale. « Si on renonce à estimer la mortalité, alors ça revient à dire que, d’une manière ou d’une autre, les vies ne comptent pas vraiment », dit-il à l’AFP.

Pour des travailleurs humanitaires et officiels préférant conserver l’anonymat, le total des morts pourrait avoisiner les 300.000, soit autant qu’en cinq ans de guerre en Syrie.

« Le niveau et l’intensité des violences sont bien supérieurs à tout ce que nous avons vu presque n’importe où ailleurs », témoigne un humanitaire habitué aux zones de conflit. Plus de 30 humanitaires ont été tués depuis le début de la guerre.

Le chiffre plancher de 50.000 correspond au nombre de victimes directes du conflit. Mais si on prend en compte ses retombées indirectes, le total grimpe en flèche.

Il faut alors prendre en compte ceux qui meurent de faim, alors que les belligérants bloquent l’acheminement de l’aide, ou les victimes d’atrocités à grande échelle, comme ces 60 civils que les troupes gouvernementales ont laissé suffoquer dans un conteneur placé en plein soleil, en octobre 2015.

Il faut aussi inclure les morts faute d’avoir reçu les soins adéquats, après la destruction ciblée d’hôpitaux. Médecins sans frontières a mis en garde contre les « conséquences considérables pour des centaines de milliers de personnes » après que six de ses centres de soins eurent été attaqués, pillés, ou brûlés, parfois à plusieurs reprises.

De nombreux groupes armés ont perpétré des massacres ethniques et, malgré la signature d’un accord de paix en août 2015, les combats continuent en plusieurs endroits où des factions ont des intérêts locaux.

Les batailles ont été menées avec des équipements modernes: hélicoptères de combat, lance-roquettes, artillerie lourde ou tanks amphibies pour traquer les rebelles dans des marais isolés. Des capitales provinciales ont été détruites.

Certains chiffres sont connus: 2,3 millions de personnes ont été chassées de chez elles; 6,1 millions ont un besoin urgent d’aide alimentaire; 15.000 enfants soldats ont été recrutés; 200.000 civils sont abrités dans des camps de déplacés de l’ONU, qui a besoin de 1,1 milliard d’euros d’aide.

Mais aucun décompte fiable n’existe pour les morts. Le patron des opérations humanitaires de l’ONU, Hervé Ladsous, a reconnu la semaine dernière que les Nations unies avaient « perdu le compte ».

Le décompte des morts en zone de guerre n’est pas aisé à effectuer mais pas non plus impossible. Et les rares tentatives de le faire au Soudan du Sud ont montré des taux de mortalité sidérants.

Selon une étude du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), basée sur plus de 1.500 interviews menées dans tout le pays, 63% des personnes interrogées ont perdu un membre proche de leur famille.

Elle montre aussi que 18% ont eu un enfant enlevé, 14% ont été torturées, 33% ont un parent qui a « disparu » et 55% ont eu leur maison détruite. Dans les zones les plus touchées par la guerre, ces chiffres sont plus élevés encore.

D’après une enquête de la South Sudan Law Society (SSLS) dans la base onusienne de Malakal (nord-est), où sont réfugiées 47.000 personnes, 77% des sondés ont perdu un parent.

L’étude du Pnud indique aussi que 41% souffrent d’un syndrome de stress post-traumatique (PTSD), un « niveau comparable à celui observé au Rwanda ou au Cambodge après le génocide ».

L’absence de bilan crédible contribue, selon des analystes, à ce que la guerre au Soudan du Sud soit largement occultée de l’actualité internationale, et garantit l’impunité des tueurs.

Car, alors que les combats se poursuivent, le temps efface les preuves des massacres.

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