Berlin, Potsdamer Platz, 1er mai 1916 : A bas la guerre ! A bas le gouvernement !

Berlin 1er Mai 2016 : Contre la guerre, prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

Depuis août 1914, l’opposition à la guerre ne cesse de s’affirmer. Le 2 août 1914, lors de la réunion du groupe parlementaire social-démocrate, 14 députés – sur 92 présents – se prononcent contre le vote en faveur du budget de la guerre. Mais lors du vote le 4 août au Reichstag, ils se plient à la discipline du parti : les crédits militaires sont votés à l’unanimité. Le même jour, Rosa Luxemburg rassemble chez elle quelques personnalités social-démocrates de gauche pour envisager la façon de mener la lutte contre la guerre.

Le 2 décembre 1914, lors d’un vote sur une rallonge budgétaire pour le financement de la guerre, un seul député s’y oppose : Karl Liebknecht. L’exposé des motifs qu’il envoie au président du Reichstag (et que celui-ci refuse de publier) commence ainsi : « Cette guerre qu’aucun des peuples concernés n’a lui-même voulue n’a pas été déclenchée pour le bien-être du peuple allemand ou d’un autre peuple. C’est une guerre impérialiste, une guerre pour la domination capitaliste du marché international, pour la domination politique de régions importantes pour le capital industriel et financier. »

Le 21 décembre 1915, 20 députés sociaux-démocrates votent contre les crédits militaires.

Dès 1915, la gauche du parti social-démocrate commence à s’organiser. Le groupe le plus fortement engagé contre la guerre est le Spartakus-Gruppe, qui se constitue autour de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht.

1er mai 1916 : Karl Liebknecht appelle à manifester contre la guerre et contre le gouvernement, Potsdamer Platz.

Il est aussitôt arrêté, jugé à huis clos et condamné, en appel, en août 1916 à quatre ans et un mois de détention. Mais l’opposition à la guerre ne fera que s’amplifier – jusqu’à la révolution de 1918.

mai1916

Conclusion du tract :

Ouvriers, camarades, femmes du peuple, ne laissez pas passer ce deuxième Premier Mai de la guerre mondiale sans en faire une manifestation du socialisme international, un acte de protestation contre la boucherie impérialiste !

En ce premier mai, nous tendons notre main fraternelle, par dessus les barrières de toutes les frontières, au peuple de France, de Belgique, de Russie, d’Angleterre, de Serbie, du monde entier. Le premier mai, nous crions à des milliers et des milliers de voix :

Halte au crime infâme du meurtre des peuples ! A bas les responsables – décideurs, provocateurs, profiteurs ! Nos ennemis ne sont pas le peuple français, russe ou anglais, ce sont les hobereaux allemands, les capitalistes allemands et leur comité exécutoire, le gouvernement allemand ! Luttons contre ces ennemis mortels de toute liberté, luttons pour tout ce que représente le bien-être et l’avenir de la cause ouvrière, de l’humanité et de la culture !

Halte à la guerre ! Nous voulons la paix !

Vive le socialisme ! Vive l’Internationale ouvrière !

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

Compte-rendu de la manifestation publié dans les Spartakus-Briefe 20, 15 mai 1916 :

Dès sept heures, la Potsdamer Platz et les rues qui y mènent étaient remplies de policiers à pied et à cheval. A huit heures précises se rassembla sur la place une foule si compacte de manifestants ouvriers (parmi lesquels les jeunes et les femmes étaient massivement représentés) que les escarmouches habituelles avec la police ne tardèrent pas. Les « bleus » et surtout leurs officiers furent bientôt saisis d’une extrême nervosité, et ils commencèrent à pousser la foule avec leurs poings.

A ce moment retentit la voix forte et sonore de Karl Liebknecht, qui était à la tête de la foule, au milieu de la Potsdamer Platz : « A bas la guerre ! A bas le gouvernement ! » Aussitôt, un groupe de policiers s’empara de lui, ils firent une chaîne pour l’isoler de la foule et ils l’emmenèrent au poste de police de la gare de Potsdam. Derrière lui, on entendit retentir « Vive Liebknecht ! » Les policiers se précipitèrent alors sur la foule et procédèrent à de nouvelles arrestations. Après que Karl Liebknecht eut été emmené, la police, excitée par les officiers qui se comportèrent de la façon la plus brutale, commença à repousser les masses de gens vers les rues adjacentes. C’est ainsi que se formèrent trois grands cortèges de manifestants, dans la Köthener Straße, la Linkstraße et la Königgrätzer Straße, qui avancèrent lentement en raison de heurts constants avec la police. A un moment, du brouhaha se détachèrent des mots d’ordre « A bas la guerre ! », « Vive la paix ! », « Vive l’Internationale ! » et ils furent repris par des milliers de voix. Mais ce fut « Vive Liebknecht ! » qui fut repris sans cesse le plus fortement. La nouvelle de son arrestation se répandit rapidement parmi les gens. Des milliers l’avaient vu à la tête de la manifestation et ils avaient entendu sa voix forte et stimulante. L’amertume et la douleur de voir le dirigeant bien aimé aux mains des sbires de la police emplissaient tous les cœurs, elles étaient sur toutes les lèvres. Les femmes, en particulier, poussèrent des gémissements et se répandirent en imprécations contre la police, contre la guerre, contre le gouvernement. La manifestation dura jusqu’à dix heures, la foule essayait sans cesse de pénétrer dans les rues adjacentes à partir des trois crotèges principaux, mais elle en était sans cesse empêchée par les policiers qui allaient en tous sens, sautaient et frappaient dans le tas. En alternance avec les slogans, on chantait la Marseillaise des ouvriers, la Marche des socialistes. Ce n’est que vers dix heures et demie, à certains endroits plus tard encore, que la foule des manifestants, tous animés d’une excellente humeur, se dispersa peu à peu. Selon une estimation modérée, le nombre des manifestants s’élevait à dix mille.

On peut mesurer quelle frayeur la manifestation avait faite au gouvernement au fait que, jusqu’à minuit, tout le quartier autour de la Potsdamer Platz est resté littéralement sumergé par la police montée et qu’au poste de la gare de Potsdam, où s’était établi le centre principal de commandement, les allées et venues de patrouilles nerveuses, les instructions et les rapports s’éternisèrent jusque près d’une heure du matin.

Rapport d’enquête figurant dans l’acte d’accusation contre Karl Liebknecht

Fin avril et le 1er mai, l’accusé Karl Liebknecht diffusa dans le Grand-Berlin autant qu’il en eut l’occasion des tracts intitulés « Tous à la fête du 1er mai ! », ainsi que des papillons (Handzettel). Sur ces papillons, il appelait tous ceux qui étaient contre la guerre à se trouver Potsdamer Platz le premier mai à huit heures du soir. Sur ces papillons était aussi écrit comme slogan « Du pain ! La liberté ! La paix ! » (souligné). Il se trouva lui-même en civil sur la Potsdamer Platz avec un certain nombre de ses camarades, à l’heure indiquée, pour participer à la fête et à la manifestation contre la guerre. Quelques centaines de personnes en tout, des jeunes pour la plupart, et également des femmes, se trouvèrent au même endroit avec les mêmes intentions.

Comme il y a habituellement un trafic intense après huit heures du soir sur la Potsdamer Platz, en raison de la fermeture des magasins et de la proximité de plusieurs gares, la foule y devenait très dense, raison pour laquelle les policiers qui y avaient été dépêchés firent en sorte que les gens puissent gagner les rues latérales et ils dispersèrent de temps en temps les rassemblements qui se formaient sur les trottoirs. De temps à autre, il y eut des sifflements et des slogans lancés par la foule. Mais il n’y eut pas d’incident majeur, parce qu’il y avait sur place un fort déploiement policier et que les tentatives isolées de troubler l’ordre public purent être étouffées dans l’œuf.

Juste au moment où un groupe de policiers cherchait à disperser les gens qui s’étaient attroupés sur le trottoir devant l’hôtel Fürstenhof, l’accusé, qui se trouvait dans un groupe de gens, s’écria d’une voix distinctement audible : « A bas la guerre ! A bas le gouvernement ! » Les policiers qui se trouvaient à proximité, Becker et Rathke, s’emparèrent de l’individu, dont le nom leur était inconnu, pour l’emmener au poste. L’accusé y opposa de la résistance, en croisant les bras dans le dos, en penchant le buste en arrière et en appuyant les pieds contre le sol. Les deux fonctionnaires durent « littéralement soulever » le prisonnier pour le faire avancer. Pendant son transfert au poste de police, l’accusé continua de s’écrier : « A bas la guerre ! A bas le gouvernement ! » Peu de temps après l’arrestation de l’accusé, le rassemblement se dispersa. Pendant tous ces événements, plusieurs centaines de soldats traversèrent la Potsdamer Platz, la plupart en provenance ou en direction d’une gare, sans toutefois participer à la manifestation. Quelques-uns, qui voulaient apparemment s’y attarder, furent invités par les patrouilles militaires à continuer leur chemin.

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