Le Nouvel Observateur, 28 mars 2016 :
« Je vous écris de l’usine » est une admirable chronique ouvrière parue de 2005 à 2015 dans le mensuel de critique sociale «CQFD». Jean-Pierre Levaray y raconte la vie quotidienne dans son usine d’ammoniac et d’engrais, une de ces poudrières classées Seveso 2. Ce site de Grand-Quevilly, dans le Rouennais, était une filiale de Total avant d’être revendu en 2014 à des Autrichiens et à un fonds d’Abu Dhabi. Triste classique, auquel a préludé une série de «plans de sauvegarde de l’emploi» (PSE), comme on dit pour mieux jeter son personnel après usage.
« Dans leurs calculs, les ouvriers comptent pour du beurre», lit-on dans la chronique d’avril 2006 intitulée «Putain d’usine: on ferme !» Tout est consigné d’une plume fine et incisive, le meilleur comme le pire. La fraternité ouvrière et la servilité des cadres, toujours du côté du manche, le salaire qui peine à monter – 1,8% pour eux contre 33% pour celui des actionnaires -, le matériel vétuste, les accidents, nombreux, comme celui arrivé à un intérimaire turc recruté pour descendre dans un four immense changer un catalyseur.
L’ouvrier est en bas, en scaphandre depuis une heure. Il fait 45°C. Tout pourrait s’enflammer au contact de l’air, alors de l’azote est injecté en permanence. Sa tâche est dangereuse au point qu’il porte un capteur pour contrôler son rythme cardiaque; il est sous surveillance vidéo, relié par un filin au collègue chargé de le remonter au cas où. Quelque chose dans le système d’alerte n’a pas marché ce jour-là quand l’homme a crié. CHU, brûlures aux pieds, le gars aurait pu y passer. Ces choses vues alternent avec le récit des calculs froids des stratèges, jamais rassasiés, même par leurs gains colossaux, «des bénéfices immoraux», dit Jean-Pierre Levaray.
A reblogué ceci sur Le blog de Tyson Coxa.
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