Les pilotes d’Air France ne demandent pas la lune

L’Humanité, 17 septembre 2014 :

Le syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) de la compagnie française revendique que tous les pilotes soient logés à la même enseigne 
à partir du moment où ils sont aux commandes d’un avion de plus de 100 places, y compris de la filiale low cost Transavia.

Toute grève dans les transports a les mêmes conséquences côté usagers. Il y a ceux qui s’en exaspèrent et d’autres, souvent qualifiés de « philosophes », qui comprennent les motivations des grévistes. Quelles sont donc les motivations de la grève des pilotes d’Air France emmenée par le syndicat majoritaire SNPL, démarrée lundi 15 septembre, appelée à se renforcer ce mercredi et à durer au-delà des huit jours préalablement annoncés si les négociations ne décollent pas ? « La direction passe son temps à dire que les pilotes sont contre le développement de Transavia France, c’est le plus gros mensonge du moment », a déclaré à l’AFP Jean-Louis Barber, président du SNPL AF Alpa. Transavia, c’est une filiale créée par Air France pour concurrencer les compagnies aériennes « low cost » de type EasyJet ou Ryanair sur les court-et-moyen- courriers. Le syndicat des pilotes n’est pas contre cette stratégie de reconquête d’une clientèle, au contraire.

La direction d’Air France brouille les écrans radars de l’opinion

Là où ça fait gronder sur les tarmacs, c’est que la direction d’Air France a décidé de développer cette marque Transavia (dont le siège est situé à Orly) en recourant à des contrats de travail spécifiques et non sous l’en-tête Air France, autrement dit en rognant sur les fiches de paye tout en augmentant le temps de travail à bord, au mépris de la sécurité. Pire encore, des lignes reliant la France pourraient être exploitées par Transavia 
Europe pour échapper au droit du travail français plus favorable que dans le reste de l’Europe : une délocalisation à la sauce Bolkestein. C’est dans ce cadre de dérégulation sociale que le SNPL réclame un « contrat de pilote unique » pour toutes les marques du groupe Air France (Air France, Transavia et Hop !)

Depuis quelques jours, la direction d’Air France, emmenée par Alexandre de Juniac, a développé une stratégie de communication qui brouille les écrans radars de l’opinion. Le PDG d’Air France-KLM est allé jusqu’à déclarer lundi que la compagnie « devrait être bénéficiaire cette année si la grève n’impacte pas ses efforts ». Il a même, sur TF1, laissé entendre qu’en cas de poursuite du conflit, la direction était prête à sacrifier le développement de Transavia France, au profit de Transavia Europe. Une grève a forcément des conséquences sur les caisses. C’est même un des atouts majeurs des salariés qui souhaitent peser dans les choix de leur entreprise. Chez Air France, l’on évoque 10 à 15 millions d’euros par jour de manque à gagner sans compter 
les dédommagements des passagers.

Les grévistes n’ont pas été aidés non plus par les déclarations du numéro un de la CFDT, Laurent Berger, qui a jugé « indécente » cette grève que son syndicat ne soutient pas, qualifiant ce mouvement social de « corporatiste ». Il a chargé un peu plus la soute en soutenant que les personnels au sol sont « exaspérés », et jugé que les pilotes devaient eux aussi faire des « efforts » pour assurer l’avenir d’Air France. Au nom de la soi-disant impopularité de cette grève, le deuxième syndicat de salariés de France prend ainsi le risque d’apparaître comme soutenant l’idée qu’il est « normal » que tous acceptent de voir se niveler les salaires vers le bas, de voir les statuts ficher le camp et de risquer des pertes d’emplois en France pour jouer le jeu de la concurrence.

Du côté du PS, Jean-Christophe Cambadélis, sous sa casquette de premier secrétaire du parti, a quant à lui jugé la grève des pilotes « hors de propos quand on connaît la situation des personnels d’Air France ». Selon le dirigeant socialiste, « il faut garder raison, on ne peut pas cumuler les avantages, on peut comparer les salaires, on peut aussi voir ce que vit la France aujourd’hui ». Accuser ainsi à mots à peine cachés les personnels d’Air France d’être des privilégiés aura sans doute ajouté du kérosène sur le feu.

Le SNPNC et l’Unsa, deux syndicats représentatifs des personnels navigants commerciaux, stewards et hôtesses, se sont en effet déclarés « solidaires » du mouvement de grève des pilotes et n’excluent pas de déposer à leur tour un préavis dans les jours à venir. Si hier 60 % des avions Air France étaient cloués au sol, la grève pourrait se transformer en véritable blocage, mercredi, tandis que se tiendra une assemblée générale des pilotes au siège de la compagnie à Roissy.

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