Le Monde, 22 avril 2014 :
Des milliers d’ouvriers d’une usine de chaussures travaillant pour Nike, Adidas et Converse ont entamé, mardi 22 avril, leur neuvième jour de grève. A Dongguan, une cité industrielle du sud-est de la Chine, les employés de Yueyuen, sous-traitant des marques occidentales de tennis les plus populaires, reprochent à leur employeur de n’avoir pas payé une partie de leurs cotisations sociales. Environ 30 000 d’entre eux ont cessé le travail depuis lundi 14 avril, selon les organisations non gouvernementales (ONG) de soutien aux ouvriers. Le mouvement s’est étendu ce week-end à un autre site du groupe dans la province rurale du Jiangxi.
Les ouvriers reprochent à leur employeur de ne cotiser à l’assurance-maladie que sur la base du salaire minimum et de ne pas tenir compte des heures supplémentaires qu’ils effectuent.
Jointe mardi par téléphone, une travailleuse de 40 ans, de la principale chaîne de production de Nike, explique que l’ensemble du personnel de cette ligne refusait à nouveau mardi matin de reprendre son poste.
« Tous les travailleurs de mon unité sont en grève. » Le premier producteur mondial de chaussures de sport a bien proposé d’ajouter 230 yuans (27 euros) par mois aux cotisations de chacun de ses ouvriers de Dongguan à l’avenir mais, dit cette femme, les employés craignent de ne pas recouvrir la totalité des sommes dues par le passé.
Ces craintes trouvent en fait leurs racines dans les changements profonds qui affectent cette ville-usine à mi-chemin entre Canton et Hongkong du fait de la rapide hausse des salaires chinois depuis 2010. Les employés craignent que les usines de cette région industrielle ferment à terme, pour migrer dans des zones où le coût du travail est moins élevé. De fait, la hausse des salaires dans la région ces dernières années a déjà obligé une partie des producteurs de textile ou de jouets locaux à mettre la clé sous la porte.
Yueyuen, qui travaille aussi pour New Balance, Puma, Timberland ou Asics, a d’ailleurs cessé d’ouvrir de nouveaux sites en Chine continentale. Et si le conflit porte sur les cotisations sociales, c’est bien parce que les ouvriers ont commencé à s’enquérir de celles-ci en s’interrogeant sur leur statut à l’avenir.
« Nous sommes suspicieux. Nous n’avons confiance ni en le gouvernement ni en l’entreprise qui se re-déploie en Asie du Sud-Est car c’est une industrie qui requiert beaucoup de main-d’œuvre », explique M. Liu, un autre ouvrier, affecté à une chaîne de production d’Adidas.
DÉFENDRE LA CAUSE OUVRIÈRE
Si les 500 à 600 employés de la ligne de M. Liu ont accepté de reprendre la tâche à la lecture d’une affiche placardée à l’entrée des ateliers, ce mardi matin, annonçant que Yueyuen paiera les arriérés de cotisations sociales, il ne se dit pas satisfait pour autant : il n’y a toujours pas d’accord sur la manière dont les ouvriers vont eux aussi devoir payer rétroactivement leur part des cotisations dues. Nombre d’employés n’en ayant pas les moyens, « il faudrait échelonner les versements », explique l’ouvrier Liu. Le porte-parole de Yueyuen reconnaît que ce point « pourrait être problématique ».
M. Liu trouve par ailleurs peu crédibles les déclarations de responsables du syndicat officiel, le seul toléré par l’Etat-parti en Chine, s’engageant à l’avenir à défendre la cause ouvrière.
Selon China Labor Watch, plusieurs grévistes ont été incarcérés temporairement vendredi dernier, notamment pour avoir osé prendre des photos. L’une d’entre eux a été libérée huit heures plus tard, après que les policiers ont effacé les photos de son téléphone et qu’elle s’est engagée par écrit à ne plus prendre part aux protestations, détaille cette organisation de protection des droits des ouvriers chinois. Jerry Shum, le porte-parole de Yueyuen, déclare que l’entreprise n’a rien à voir avec les opérations de maintien de l’ordre.
Si M. Shum admet qu’existe un conflit sur le financement des cotisations destinées à la protection sociale et au logement – « A Dongguan, dit-il, certains employés se présentent au pointage mais ne travaillent pas » –, il juge que le blocage est également le résultat « d’un effet de foule, d’une émotion ».
Si le gouvernement central impose de longue date de régler les cotisations sociales sur l’ensemble de la paye, le management du géant de la chaussure explique non sans une certaine candeur qu’à Dongguan, « le gouvernement local a souhaité encourager davantage d’activité en rendant (la main-d’oeuvre) plus accessible ».