BH Infos, 15 juin 2013 :
Environ 10.000 personnes ont manifesté mardi devant le Parlement à Sarajevo pour protester contre l’inaction et le manque de volonté des autorités de gouverner le pays de manière efficace. Cette manifestation anti-gouvernementale pacifique est une première de cette ampleur depuis 1992 lorsque les citoyens de Bosnie-Herzégovine, sortis dans la rue pour s’opposer à la guerre, étaient chassés par les premiers tirs de snipers.
C’est aussi la première manifestation qui se veut citoyenne, sans connotation ethnique, dans ce pays resté profondément divisé entre Bosniaques, Croates et Serbes depuis la fin du conflit en 1995. « A bas le nationalisme, vive la Bosnie-Herzégovine citoyenne », « Banja Luka-Sarajevo, le même combat », les slogans brandis fièrement en cyrillique et en latin de cette mini révolution se propagent progressivement depuis Sarajevo sur l’ensemble du pays. Malgré les interdictions des autorités de Republika Srpska, des milliers d’étudiants, de retraités et d’anciens combattants de Banja Luka ont manifesté mercredi. Après Banja Luka, le mouvement a également touché Mostar, Tuzla, Zenica, Prijedor et Brcko.
Comme toutes les révolutions de printemps, celle de Sarajevo, baptisée « Bébé-Révolution » est également partie de la goutte qui a fait déborder le vase. C’est le cas de la petite Belmina qui a ému le pays entier, un bébé de 3 mois, qui faute d’un numéro unique d’identité personnel, connu localement sous le nom de JMBG, s’est trouvée dans l’impossibilité de se procurer un passeport et de quitter le pays pour recevoir un traitement médical urgent. Comme 4000 autres bébés bosniens, nés après le 12 février dernier, Belmina est un sans-papier, dépourvue de l’assurance-maladie et des documents, victime innocente d’un énième désaccord politique entre les partis au pouvoir incapables de gouverner le pays. Le dernier désaccord en date, celui qui fait bloquer l’adoption de la loi sur le numéro d’identité personnel, concerne notamment la nouvelle dénomination des communes de Republika Srpska, l’entité serbe du pays. Les leaders politique de la RS refusent ainsi de disposer de numéros d’identités uniques et souhaitent bénéficier de numéros spécifiques à cet entité, et créer encore plus de division, ce que le Parlement a refusé. Depuis, l’adoption de la nouvelle loi est bloquée.
Les députés pris en otage
La semaine dernière, une centaine de citoyens de Sarajevo, aidée par les taxis qui ont bloqué le trafic pendant des heures, a réussi à « prendre en otage » un millier de fonctionnaires et de parlementaires dans le bâtiment du Parlement, les empêchant de sortir de l’immeuble. De cette manière-là, ce groupe de citoyens et de parents en poussette, a espéré obliger les députés d’adopter une loi réglant le problème de Belmina et les autres bébés concernés.
L’opération s’est néanmoins soldée par un échec car après 18 heures du blocus, avec l’intervention du Haut Représentant de la communauté internationale, Valentin Inzko, les députés et le personnel du Parlement ont été « libéré » vers 3 heures du matin, sans qu’une loi définitive soit adoptée. Toutefois, grâce à l’adoption d’une mesure provisoire, la petite Belmina a réussi à se procurer un numéro personnel lui permettant d’obtenir un passeport et de quitter le pays. Arrivée en Allemagne, son état est encore critique.
La loi définitive n’étant pas adoptée, le mouvement de contestation s’est poursuivi et est devenu national puisque, après Sarajevo, des manifestations ont eu lieu à Banjaluka, Mostar, Zenica, Tuzla, Prijedor et Brcko. Craignant le mouvement de solidarité avec Sarajevo, les autorités de Banjaluka ont, en émettant une interdiction formelle, essayé d’empêcher les manifestations des étudiants de la capitale de la Republika Srpska. Sans succès. Le lendemain, des milliers de personnes ont envahi les rues de cette ville, protestant contre la corruption et la mauvaise situation économique et politique du pays. Pourtant, le mouvement n’a pas clairement affiché son soutien à Sarajevo.
Les nationalistes en panique
Les autorités nationalistes serbes, croates et bosniaques se montrent très inquiètes face aux événements et tentent de se défendre tant bien que mal par les vieux réflexes nationalistes. Au sein du SNSD de Milorad Dodik, on a traité des manifestants de « bâtards » et l’histoire de Belmina d’un « mélodrame oriental », ce qui a provoqué des consternations dans le pays entier.
Vjekoslav Bevanda, le Premier ministre (Croate), qui s’est échappé du Parlement assiégé par les citoyens, a décrit cette épisode peu glorieuse de sa vie politique comme une tentative d’assassinat contre lui.
Quant à Bakir Izetbegovic, le leader bosniaque, il a déclaré que les manifestations donnaient une très mauvaise image du pays à l’étranger et a conseillé les manifestants de sanctionner les responsables aux prochaines élections, plutôt que de protester dans la rue.
Par ailleurs, depuis la « prise d’otage » de la semaine dernière, un bon nombre de députés refusent désormais de se rendre aux réunions à Sarajevo. Plutôt que de travailler mal, ils préfèrent ne pas travailler du tout, sous prétexte de ne pas y être en sécurité. Ils ne subirons pour cela aucune sanction ni retenue salariale. Une situation burlesque qui a poussé les organisateurs des protestations, avec une certaine dose d’humour, de lancer « un appel au silence », pour éviter de « troubler » le travail des députés. C’est en buvant un café en silence que désormais les citoyens de Sarajevo se rendent chaque jour devant le Parlement pour protester.
Le dernier délai accordé aux députés pour adopter une loi sur le JMBG est le 30 juin prochain. Après cette date, les manifestants promettent de nouvelles manifestations massives.
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