La colère gronde toujours dans les mines d’Afrique du Sud

La Croix, 22 octobre 2012 :

Plus de deux mois après le drame de Marikana, la tension reste très vive dans cette région minière.

Manifestation le 1er octobre sur le site de Marikana

Les mineurs, leurs familles et les habitants des bidonvilles près des puits vivent en état de siège permanent.

À la mine de platine Amplats, proche de Marikana, les violences se poursuivent.

Scène de pillage dans le bidonville de Mfidikwe.

Fikiswa sort d’une petite échoppe couverte de suie. La veille, des habitants ont mis le feu à l’épicerie. Maintenant, ils sont une vingtaine à se ruer dans le magasin pour prendre ce qu’ils peuvent encore récupérer.

Après six semaines de grève, Fikiswa, femme de mineur et mère de six enfants, est à bout : « J’espère vendre ces quelques bouteilles en verre vides et récupérer 4 ou 5 €. Mon mari ne travaille plus, alors je ne sais plus comment faire pour avoir un peu d’argent et nourrir mes enfants. »

À quelques centaines de mètres, on aperçoit l’un des huit puits de la mine de platine Amplats (Anglo American platinum), à l’arrêt depuis le 12 septembre. La route est jonchée de pierres, vestiges des affrontements avec la police. Sur le bas-côté, il reste deux carcasses de voitures brûlées. Les véhicules anti-émeutes des forces de l’ordre sont stationnés un peu plus loin, prêts à démarrer.
Ces mines de platine sont parmi les plus dangereuses au monde

Cette mine sous haute tension appartient au groupe Anglo American, numéro un mondial du platine. Depuis le début de la grève sauvage, le groupe a licencié 12 000 ouvriers, plus de 40 % de ses effectifs, mais les meneurs du mouvement sont manifestement prêts à se battre jusqu’au bout.

Godfrey Lindane, l’un d’entre eux, vit dans une cabane de tôle et de bois sans électricité. Tous les jours, depuis cinq ans, huit heures par jour, il descend au fond. La chaleur est écrasante, le risque de ne jamais remonter à la surface, constant. .

À 28 ans, le mineur assure gagner 500 € par mois et faire vivre 15 personnes grâce à son salaire. Comme ses « camarades » de lutte, il veut maintenant obtenir une paye de 1 600 € : « Mon grand-père et mon père sont morts ici dans cette mine. On a été traités comme des esclaves depuis trop longtemps. Nous sommes juste réduits à nous endetter, pour pouvoir envoyer nos enfants dans des écoles privées afin qu’ils aient une bonne éducation. Ce n’est plus possible ! »

« Les dirigeants du NUM ne nous défendent pas »

Godfrey Lindane est particulièrement en colère contre les organisations syndicales. Le mineur a bien toujours sa carte de membre au NUM, le très puissant syndicat majoritaire des mineurs, mais il compte la déchirer.

Le NUM est la principale composante de la Cosatu, la centrale syndicale qui est au pouvoir avec l’ANC et le Parti communiste au sein d’une alliance tripartite. « Les dirigeants du NUM ne nous défendent pas. Ils sont trop proches du pouvoir et des patrons pour défendre nos intérêts », explique Godfrey.

Désormais les grévistes s’organisent pour désigner leurs représentants. Depuis le début des grèves, quatre permanents du NUM ont été assassinés dans les mines.

« Je ne sais même pas pourquoi ils m’ont attaqué »

À Amplats, en six semaines de grève, les violences ont fait de quatre à dix morts, selon les sources. Dans la township de Bleskop, un autre bidonville de la mine, le 11 octobre dernier, un homme est mort brûlé vif.

Les femmes murmurent qu’il aurait été attaqué par les grévistes parce qu’il voulait aller pointer au travail pour toucher son salaire. Le lendemain, selon les habitants, la police a effectué une descente en représailles. Ils sont nombreux à avoir été blessés.

Lamla Ngqinisiko ouvre sa chemise et dévoile son ventre marqué par les impacts des balles et une longue cicatrice encore sanguinolente, stigmate de la lourde opération qu’il a dû subir : « J’étais au lit quand la police a frappé à ma porte. Je suis sorti et ils ont ouvert le feu avec des balles en caoutchouc. J’ai passé quatre jours à l’hôpital. Je ne sais même pas pourquoi ils m’ont attaqué. Je ne suis pas mineur. Je suis arrivé ici il y a cinq mois pour tenter de me faire embaucher. Mais la police ne fait pas la différence entre grévistes, non grévistes, ceux qui sont violents ou pas. »

l’Afrique du Sud craint la bombe à retardement

Les autorités sud-africaines sont très critiquées pour avoir mal géré le drame de Marikana, autre mine où une répression de la police a fait 34 morts le 16 août dernier. La commission d’enquête sur ce massacre a repris ses travaux lundi 22 octobre.

La semaine dernière, le président Zuma a promis aux grévistes de s’occuper de leurs revendications, avec notamment un plan pour le logement des mineurs. Il a aussi demandé, de manière symbolique, au patronat de geler leurs augmentations de revenus. Mais rien n’indique que cela va apaiser la colère des mineurs.

Cette semaine, les négociations entre grévistes et dirigeants d’Anglo American doivent se poursuivre. « Depuis longtemps, l’Afrique du Sud craint la bombe à retardement, affirme Adam Habib, un politologue. Si aucune mesure importante n’est prise pour réduire les inégalités criantes dans le pays, alors sur le long terme, on pourrait assister ici à un printemps africain. »

2 réponses à “La colère gronde toujours dans les mines d’Afrique du Sud

  1. On se croirait dans Germinal de Zola !

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  2. On s’y croirait, peut-être, cependant : en aucune façon ces luttes ne sont équivalentes à celles de l’époque en question.
    « Les luttes de classes dans les pays récemment industrialisés, comme la Chine, l’Inde, le Bangladesh, le Cambodge [ Afrique du Sud], peuvent être différentes ( par rapport à celles des pays développés) qui y ont cours, par exemple celles qui ont pour objet le salaire, permettent encore des victoires très larges -mais jamais suffisamment large, dans le capitalisme intégré mondialement, pour modifier véritablement les caractéristiques du rapport social capitaliste. Ces luttes ne sont pas un recommencement des luttes qui avaient cours en Europe dans les débuts du capitalisme, ne serait-ce déjà que parce qu’elles ne peuvent plus s’inscrire dans la perspective révolutionnaire qui fut celle des années 1840 aux années 1970. « (Qu’est-ce que la communisation, in SIC, N°1, nov. 2011 :Léon de Mattis.)
    Quant à Zola, indépendamment de sa littérature, pas vraiment sympathique le bonhomme : voir sa position sur la Commune. Emile était Versaillais.

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