Québec : La lutte des étudiants continue

Le Monde, 9 juin 2012 :

Bientôt quatre mois après le début de la contestation étudiante au Québec, s’opposant à l’augmentation de 75 % des frais de scolarité en cinq ans, le mouvement de grève et de manifestations se poursuit tant bien que mal dans la province, alors que les négociations entre le gouvernement et les syndicats étudiants sont au point mort depuis le 31 mai.

Manifestation à Montréal le 7 juin

Jeudi soir, à l’heure de l’ouverture du grand prix de Formule 1 dans la ville, de 2 000 à 3 000 personnes ont manifesté presque nus et au son de casseroles contre l’événement. L’organisation du grand prix, jugé élitiste et coûteux, semble donc avoir ravivé la contestation étudiante, dont les marches nocturnes s’essoufflent – lundi 4 juin, seules 200 à 300 personnes s’étaient réunies dans le centre de la ville.

« ACCALMIE » DES MANIFESTATIONS

Dans un entretien accordé au quotidien La Presse, samedi 2 juin, la ministre de l’éducation québécoise, Michelle Courchesne, a affirmé que le vote de la loi spéciale du 17 mai – restreignant fortement le droit de manifester – a provoqué « une accalmie » dans les manifestations étudiantes. La mobilisation actuelle est en effet bien loin des quelques dizaines de milliers comptés pendant la manifestation du 22 mai, célébrant les 100 jours du mouvement, et des 40 000 personnes rassemblées pendant l’événement « Pour un printemps québécois », le 14 avril.

La contestation étudiante perdrait-elle de son intensité ? « Sans doute. Après trois mois de manifestations, c’est inévitable », analyse Jacques Portes, professeur d’histoire de l’Amérique du nord à l’université Paris-VIII. « Mais elle ne s’essouffle pas pour autant, estime-t-il. Quand le gouvernement Charest a fait voter la loi spéciale, il pensait casser le mouvement. Au contraire, cela lui a donné un second souffle. »

DE LA CONTESTATION ÉTUDIANTE AU DÉBAT DE SOCIÉTÉ

Selon l’historien, la mise en place de la loi spéciale a fait vivement réagir l’opinion publique québécoise. Un sondage CROP/Radio-Canada, réalisé auprès de 1 000 internautes de 22 au 25 mai, a montré que 60 % des interrogés étaient en désaccord avec cette loi comme réponse au conflit étudiant. « Elle a provoqué un nouveau mouvement de sympathie vis-à-vis des étudiants manifestants », explique Jacques Portes.

« Un malaise s’est créé. Le mouvement reste étudiant dans sa mobilisation, mais il a mordu dans la société québécoise », poursuit-il. Ces dernières semaines, les revendications étudiantes ont permis de soulever des inquiétudes autour du maintien de l’État-providence au Québec et des dérives du néo-libéralisme.

Professeur de sciences politiques à l’université McGill (Montréal), Antonia Maioni déclarait le 24 mai au Monde que « ce conflit s’inscrit dans un débat de société plus large ». « Les manifestants ont l’impression que le gouvernement se fiche d’eux, qu’il ne s’intéresse qu’aux riches », poursuit Jacques Portes. « En cela, le mouvement rejoint celui des indignés : il dénonce une marchandisation aveugle. » Depuis le 22 mai, le mouvement Occupy apporte d’ailleurs son soutien aux étudiants québécois, à travers des manifestations aux États-Unis.

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